Marie des grèves ....

mascarade suite ...du 2 mars !

Les journées de vacances s'organisent comme un rituel …

Souvent , je dors avec Nénaine… Normalement, c'est chacune notre tour, entre mes sœurs et moi, mais j'essaie toujours de « gagner » un tour !

Je me lève vers 7h, à la même heure que ma grand-mère , j'apprécie ce moment privilégié où je suis seule avec elle !

J'ai un tablier en « pouche » …. C'est de la toile de jute, un vieux sac à patates ! comme Nénaine ! de petites galoches de bois  avec des chaussons en feutre noir semelle de cuir appelés « kroumirs » …. Equipement indispensable pour attaquer les travaux matinaux de la ferme ! je suis si fière et si loin de Caen , de la ville, de l'école !

Avec ma grand-mère , c'est une vraie complicité et pourtant elle ne se laisse pas faire , Nénaine !!! mais son autorité naturelle est juste .

Allez le travail ne manque pas :

 Nourrir  les poules qui caquètent à la porte du poulailler pressées de picorer le grain lancé à la volée «  petit, petit, petit » …

Ramasser les œufs encore tièdes dans les pondoirs …

Remplir la mangeoire des dindonneaux d'un mélange de  farine d'orge et  d'orties broyées … les orties possédaient  un soi-disant  pouvoir anti-inflammatoire  , croyance paysanne, certes, mais certainement liée à un fond de vérité . Broyer les orties, nous disions d'ailleurs « mincer les orties » , était une activité de « grande » . En effet chacun sait combien ça pique les orties ! et pourtant Timine, mon arrière grand-mère,  les coupait à pleines mains … quant à moi, j'enfilais des gants pour mincer les fameuses urticacées !

Les  canards et les oies s'ébattent dans les vieilles marmites remplies d'eau et pataugent dans la gadoue dès l'ouverture des portes ! portes qu'il est judicieux de fermer tous les soirs , le renard n'est jamais loin . A ce propos, un souvenir précis remonte à ma mémoire : une nuit , Nénaine a entendu une des oies crier , elle a pensé aussitôt au renard …. s'est levée d'un bond, précipitée à l'extérieur …. Je regardais la scène par la fenêtre de la chambre … surréaliste ! ma grand-mère , en chemise de nuit , au milieu du champ, par une nuit de pleine lune, mettant en fuite le goupil qui avait tenté , en vain, de s'emparer de l'oie ! quel spectacle !

La traite des 2 vaches incombe souvent  à Paul, mon grand oncle et parrain. Il remonte de l'étable , située dans le bas de la cour, les deux seaux de lait  accrochés à un joug . Le joug est une pièce de bois , travaillée de manière à épouser la forme des épaules et posée derrière le cou . Deux chaînes fixées aux extrémités permettent d'y accrocher les seaux et de répartir ainsi la charge . J'aime bien moi aussi  transporter les seaux avec le joug …. il faut alors raccourcir les chaînes au maximum pour les empêcher de traîner au sol . Ca fait mal aux épaules mais faire comme les grands vaut bien le prix de cette souffrance !

Dans la laiterie, Nénaine a déjà préparé l'écrémeuse à main, bien sûr, de marque Alfa Laval … Tourner la manivelle de l'écrémeuse nécessite un certain tour de main !!! ni trop vite, ni trop lentement !!! va comprendre !!! mais c'est magique de voir s'écouler la belle crème blonde en faible quantité . Le petit lait  sera utilisé pour nourrir les porcs. Dès l'écrémage terminé, il faut nettoyer l'appareil … la dizaine de cônes de filtration de plus en plus fins !

 Petite pièce fraîche , dallée de carrés rouge brique, indépendante de tous les autres bâtiments pour que l'hygiène y soit maintenue, la laiterie reste un lieu mythique . Les pots en grès contenant la crème trônent sur les étagères.  Il ne faut pas mélanger la crème fraîche avec celle des jours précédents déjà en maturation avant d'être barattée. J'ai gardé le goût de la crème crue , cette légère acidité, cette onctuosité si reconnaissables !

 

Chaque fin de semaine, le vendredi, c'est le « jour du beurre » ! la baratte est installée dans la cave , au sous-sol de la maison. Cave encore en terre battue à cet endroit, qui garde la fraîcheur l'été. Le beurre , c'est l'affaire de Timine….c'est elle qui dirige les opérations ! La crème a épaissi et atteint la maturité nécessaire. Nénaine verse donc le précieux liquide dans la baratte en bois, ronde comme un tonneau et le barattage peut commencer ! tourner la manivelle d'un geste régulier, regarder par le petit hublot ménagé dans la paroi si les granulations apparaissent, signe du changement de consistance du liquide vers le solide, « sentir » le changement de rythme au bout de la manivelle qui devient plus lourd, « écouter » le son plus sourd des grains de matière grasse qui s'agglomèrent pour atteindre le stade «  beurre » ! la motte se forme et commence à frapper les parois , à « coller » …. Je m'entends crier :  « ça y est ! » Il nous a fallu  environ 45 mn pour transformer 40 l de crème en beurre doré.

Qui va ouvrir la bonde qui retient le « petit lait » ? une de mes sœurs s'est immiscée dans mon univers ….grgrgr !  Le bouchon de liège ôté ,  le petit lait , les pros disent aujourd'hui, lait ribot, se déverse dans un seau. Nénaine va « laver » le beurre  à l'eau fraîche pour le débarrasser des impuretés. Opération délicate de laquelle dépend beaucoup la qualité du beurre.

C'est alors Timine qui entre en jeu : lui revient le pétrissage du beurre pour le « délaiter » c'est-à-dire en extraire toute trace de petit lait. Elle utilise une large cuillère de bois, elle appuie, plie la motte, la ramène sur le bord de la bassine posée de biais sur ses genoux, dans un creux formé par son tablier. Le liquide extrait , elle vide la bassine et recommence l'opération jusqu'à ce que son savoir-faire considère que le beurre est à point et elle procède alors au salage. La Bretagne n'est pas loin et chez nous aussi on sale le beurre , non pas à la Fleur de sel , pas encore à la mode, mais au sel fin La Baleine….. hum ! la belle motte de beurre ! j'ai envie d'y tremper mes doigts et surtout de m'en tartiner une grande tranche de pain de « 3 livres » ! C'est au printemps qu'il est le meilleur quand les vaches paissent l'herbe verte et grasse. Sa texture est tendre alors que l'hiver, quand les vaches sont au régime « foin » ,il est sec et cassant, on a du mal à l'étaler !

Et puis Nénaine modèle les mottes d'environ 500 grs et surtout dessine sur le dessus une petite fleur avec une cuillère à beurre . Je m'y essaie mais je ne réussis pas à égaler son coup de patte ! Ensuite chaque motte est enveloppée dans du papier à beurre ( papier sulfurisé) et conservé au frais dans la laiterie .

Le beurre…..c'est la grande tartine du goûter, le petit puits dans la purée, le bouton d'or sous le menton ( s'il s'éclaire, on aime le beurre !), le quatre-quart  et les madeleines !

 



28/02/2010
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