ENQUÊTE

A moins d'être un pro du media training, le direct est pour les responsables politiques un exercice périlleux.

On peut tenter de limiter les dégâts en faisant évincer les contradicteurs du plateau. Mais c'est parfois pire.

Voici la preuve par Christine Boutin.

Au cours de l'emission Revu et Corrigé samedi 27 octobre, Paul Amar et ses invités revenaient sur le traitement médiatique, plutôt discret, qui entoure le campement des mal logés de la rue de la banque.

Présents sur le plateau, entre autres, Florence Aubenas qui suit le dossier pour le Nouvel Obs, la ministre du logement et de la ville Christine Boutin et le sociologue des médias, Jean-Louis Missika. Alors que ce dernier évoque la question de l'impact des images de ce genre d'événement sur les journalistes et donc sur l'opinion publique, Paul Amar a cette petite phrase "Alors le DAL devrait engager un service de com hein? Ou avoir un spécialiste image?"

Une petite phrase de rien du tout, mais qui marque le départ d'une séquence de décryptage en chaine.

Décryptage du décryptage.

Acte I: Florence Aubenas donne l'information en direct.

Florence Aubenas profite du direct pour dire que le porte parole du DAL, qu'elle connait bien pour avoir suivi la plupart des campements de sans papiers et de mal logés, devait en principe participer à l'émission mais que "Christine Boutin ne voulait pas débattre avec lui."

Visiblement, la ministre est prise de court.

Un malaise s'installe, et...

...acte II: Paul Amar rétablit la vérité.

On est dans une décryptage. Donc nous on dit tout. On dit tout sur nous, on dit tout sur vous" dit-il en regardant la ministre.

"Effectivement on avait voulu faire un débat, confirme Amar, mais on a fait comprendre à Pascal Petit, rédacteur en chef, que vous ne souhaitiez pas débattre avec M. Eyraud".

La ministre semble totalement défaite. Après un silence de quelques secondes, Mme Boutin bafouille un petit "je crois qu'il y a un problème là".

Acte III: Christine Boutin dénonce ce qu'elle appelle un "traquenard".

La ministre patine. Heureusement, une petite voix va venir abréger ses souffrances.

Acte IV: Grâce à son oreillette magique, Amar achève Boutin

Coup de grâce, la ministre se tait.

C'est la dure loi du direct.

Sur le plateau, Amar rétablit donc magnifiquement une situation qui semblait compromise par le pavé dans la mare jeté par Aubenas.

Mais que s'est-il passé dans la coulisse ?

Boutin a-t-elle refusé de débattre avec Eyraud ? A quel moment le nom de Eyraud lui a-t-il été soumis par la production ?

Interrogé par @si, Jean-Baptiste Eyraud se dit surpris par la manière dont il a été écarté du débat.

"Ce n'est pas le première fois qu'on me fait le coup, précise le porte-parole du DAL, mais d'habitude on ne me dit pas les choses aussi franchement. On trouve une excuse. Là, ils m'ont appellé lundi pour m'inviter, j'ai accepté et puis vendredi matin, ils m'ont de nouveau appellé pour me signifier que je ne participerais plus à l'émission, parce que Mme Boutin ne voulait pas que je vienne."

Quant au directeur de cabinet évoqué par Amar, il s'agit en fait de son conseiller pour les relations presse, Christian Dupont ."Ce qui nous a d'abord été présenté à Mme Boutin et à moi, c'était une emission de décryptage, avec des journalistes. A aucun moment il n'a été question de débat avec le DAL."

Refuser de participer à une emission à cause d'un angle mal défini ou d'un plateau déséquilibré est monnaie courante, assure-t-il. "C'est le fonctionnement normal des médias, c'est à nous de définir si l'émission présente un intérêt ou non".

Le conseiller presse convient toutefois que l'activisme du porte-parole du DAL agace la ministre, surtout "parce qu'il fait dire à Mme Boutin ce qu'elle n'a pas dit " explique-t-il.

Florence Aubenas, qui pensait retrouver le porte-parole du DAL au moment du direct samedi était parait-il très fâchée lors de son arrivée au maquillage, au point d'envisager de renoncer à participer à l'emission.

L'équipe de Revu et Corrigé a donc dû batailler pour la retenir, mais elle s'est rattrapée en donnant cette petite info, que Paul Amar aurait sans doute gardé pour lui si elle n'en avait pas parlé.

Selon elle, "le débat ne doit pas avoir lieu dans les coulisses. Le public doit savoir pourquoi Jean-Baptiste Eyraud était absent du débat. Il n'est pas normal que l'entourage d'un ministre ou que le ministre lui même interdisent à quelqu'un le droit de venir dire ce qu'il a à dire" déclarait la journaliste sur le site du nouvel Obs.

Qu'il s'agisse d'un malentendu ou d'un arrangement à l'amiable entre production et cabinet, Mme Boutin semble avoir quelques problèmes avec les débats.

Le 25 septembre dernier, l'équipe du 7/10 de Nicolas Demorand sur France inter avait eu elle aussi des soucis d'organisation à propos d'un débat avec Christine Boutin. Dans un article publié ici même, nous revenions sur cet incident. Entre temps, l'emission +Clair du 29 Septembre en donnait une version en image.

Alors de deux choses l'une, soit à chaque fois qu'elle doit débattre avec un leader d'association, elle n'est pas prévenue à temps. Dans ce cas là, c'est pas de chance.

Soit la ministre s'arrange pour fuir les débat chaque fois que c'est possible, en trouvant des entourloupes.

Le syndicat SNJ- CGT de France 5 a déploré "un acte de censure" de la part de la chaine publique au cours d'une interview à l'AFP.

Pascal Petit, rédacteur en chef de Revu et corrigé, a refusé de répondre à nos questions.

(Enquête de Romain Boutilly)